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Kenny Dorham, sideman recherché, soliste oublié

Du Texas à New York

Trompettiste grandement sous-estimé, Kenny Dorham n’en est pas moins un virtuose du hard bop. Sa personnalité en retrait, sa discrétion, le privèrent de la reconnaissance que son timbre chaud aurait largement mérité. Sa discographie, très riche, le place souvent en position de sideman de plusieurs grands noms du jazz, preuve, s’il était besoin, que les légendes de cette époque savaient à qui ils avaient affaire.

Né en 1924 dans une campagne texane, il consacre sa jeunesse à aider ses parents dans la ferme familiale, ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser, très tôt, au jazz. C’est sa sœur qui l’initie au piano, avant de lui offrir une trompette pour son quinzième anniversaire. Mais la crise des années 30 n’épargne pas ses parents, qui abandonnent la ferme pour s’installer à Austin. C’est dans la métropole texane qu’il va faire ses classes, d’abord dans l’orchestre de son école, puis à la Gotham School of Music.

Mobilisé en 1942, Kenny Clarke se rend à New York après sa démobilisation, espérant trouver sa place dans un orchestre. C’est Dizzy Gillespie qui lui donne sa chance en 1945, en l’engageant dans son big band. C’est le début d’une série de collaborations qui le verront renforcer les rangs des orchestres de Billy Erskine, Mary Lou Williams et Lionel Hampton notamment. Sa technique s’affine au fil des années et des tournées. En 1948, il remplace au pied levé Miles Davis à la trompette dans le quintette de Charlie Parker. Au retour d’une tournée en Europe, qui quitte un temps la scène jazz, afin de trouver un emploi stable, à une époque où Bird est aux prises avec ses addictions et s’avère incapable de diriger sa troupe.

C’est en 1954 que Kenny fait à nouveau parler de lui : Art Blakey fait appel à lui pour prendre la place de Clifford Brown au sein des Jazz Messengers. Il succèdera également à Brown, à la mort de ce dernier, au sein du quartet désormais piloté par le seul Max Roach. Entretemps, Kenny Clarke débute une carrière sous son propre nom, avec un premier album sur le label Debut, Kenny Clarke Quintet , en 1953.

 

Afro-Cuban

Mais c’est sur l’album suivant, Afro-Cuban , que Kenny Dorham frappe un premier grand coup artistique, tout en s’affirmant comme leader. Afro-Cuban est le fruit de la rencontre entre Kenny et le percussionniste cubain Patato Valdès, un grand nom du latin jazz qui travaillera ultérieurement avec Machito, Tito Puente, Mongo Santamaria ou encore Johnny Pacheco, sans oublier Dizzy Gillespie. Et l’apport de Valdès est perceptible dès les premières notes d’Afrodisia, mais aussi sur Minor’s Holiday et Basheer’s dream. Ces trois titres donnent une couleur chaude et dansante à l’album. Le reste de l’album est du be-bop d’excellente facture ; il faut dire que Dorham s’est entouré de plusieurs pointures du label : Hank Mobley, J.J. Johnson, Art Blakey, sans oublier Horace Silver au piano, renvoient l’ascenseur à Dorham.

Pris en deux sessions, les 30 janvier et 29 mars 1955, l’album ne bénéficie pas d’une couverture idéale, puisque quatre titres seulement sortent en octobre 1955. Les auditeurs devront attendre mai 1957 pour l’écouter en entier. Doit-on y voir le peu d’enthousiasme du label ? Une chose est certaine, à un moment où une poignée de légendes sont tout occupées à écrire les tables de la loi du hard bop, il est difficile pour un artiste de se faire une place avec une galette de latin jazz. Afro-Cuban n’en reste pas moins un splendide disque signé sous les couleurs de Blue Note.

 

 

’Round about midnight at the Cafe Bohemia

Début 1956, Kenny Clarke monte sa propre formation, les Jazz Prophets, avec Dick Katz au piano, Sam Jones à la basse, Arthur Edgehill à la batterie et J.R. Monterose au saxophone. A peine formés, le 31 mai, les Jazz Prophets se produisent en public au Cafe Bohemia de New York. Pour cette session, le guitariste Kenny Burrell se joint au groupe, à la demande du label.

Là encore, le disque est amputé à sa parution, puisque seuls six titres sont publiés, et il faudra attendre... 1984 pour que l’intégralité de cette live session ne paraisse. Une éternité. Car en plus de ses propres compositions originales (notamment les splendides Monaco, Who cares ? et Mexico City), Dorham et sa troupe revisitent ici une série de standards du jazz, dont l’interprétation témoigne de la sensibilité de l’artiste. Ainsi en est-il de ’Round about midnight, de Autumn in New York et de A night in Tunisia. Kenny Dorham fait montre d’un langage personnel qui l’éloigne des turbulences du hard bop. Bien qu’excellant sur les tempos rapides, son style se veut plus apaisé, plus lyrique et plus mélancolique. L’influence du blues et du gospel sont perceptibles chez Dorham.

Confronté à des problèmes financiers, Dorham devra dissoudre sa formation au bout d’un an, et prendra la place de Clifford Brown au sein de la formation de Max Roach. Quintet éphémère, les Jazz Prophets n’en restent pas moins un bel exemple de spontanéité et de richesse mélodique.

 

 

Quiet Kenny

En 1957, Kenny Dorham monte un nouveau quartet, en compagnie de Paul Chambers à la basse, Tommy Flanagan au piano et Art Taylor à la batterie. Il souhaite alors se consacrer pleinement à sa propre discographie. C’est le début d’une période prolifique pour le trompettiste, qui le verra enregistrer une quinzaine d’albums entre 1957 et 1964.

Enregistré en novembre 1959, Quiet Kenny (le surnom du trompettiste) est l’un des joyaux de cette période. Totalement à son aise sur les tempos lents et médiums, il traite les thèmes avec une extrême douceur, sublimant leur beauté. Composé essentiellement de standards du jazz, Quiet Kenny s’ouvre sur Lotus blossom, l’une des compositions majeures du trompettiste.

Ce disque d’une rare élégance place définitivement Kenny Dorham parmi les trompettistes majeurs du be-bop, aux côtés de Dizzy Gillespie, Fats Navarro et Clifford Brown. Excellent technicien, il développe de longues phrases sinueuses autour des accords de passage, un peu comme le fera Wes Montgomery, qui s’en inspirera avec sa guitare.

 

 

Una Mas

Lorsqu’il rentre en studio le 1er avril 1963 pour enregistrer Una mas , Kenny Dorham tient depuis huit ans la cadence de deux albums par an. Mais tous ses efforts ne lui ont pas permis de pallier à son déficit de notoriété. Il confie alors son impatience que cela arrive, mais ajoute qu’il continuera quoi qu’il arrive, le plaisir de jouer étant le plus fort.

Pour son dernier album sous les couleurs de Blue Note, Dorham s’entoure de Herbie Hancock au piano et Tony Williams à la batterie. L’un et l’autre sont alors aux prémices de leur carrière, qui les verra bientôt rejoindre Miles Davis au sein de son fameux "second quintette". Mais Una mas marque aussi l’irruption sur la scène jazz d’un jeune saxophone ténor dont on n’a pas fini de parler : Joe Henderson. A 25 ans, il vient de s’affranchir de ses obligations militaires ; à peine débarqué à New York, il rencontre Kenny, qui l’emmène voir la troupe de Dexter Gordon au Birdland, et finit par lui proposer de rejoindre sa formation.

A l’instar de Afro-Cuban , Una mas affiche sa coloration latine, et pas seulement par son titre. Avec le morceau éponyme tout d’abord, 15 minutes au compteur, la pièce majeure de l’album, qui lorgne du coté de la bossa nova, tout comme le superbe Sao Paolo. Mais c’est surtout la cohésion instrumentale qui est le point fort de l’album, entre un Kenny Dorham au sommet de son art, un Joe Henderson qui s’affirme comme un futur grand et un Herbie Hancock qui excelle sur tous les tempos.

Les espoirs de Dorham seront douchés : Una mas ne rencontrera pas le succès escompté. Mais surtout, des ennuis de santé vont progressivement éloigner Kenny Dorham de la musique. Après une dernière galette sous son propre nom, Trompeta toccata en 1964, il reprend des boulots "alimentaires" pour s’occuper de sa famille. Entre autres activités, il deviendra chroniqueur pour le magazine Down Beat, qui publiera en 1970 les fragments d’une autobiographie du trompettiste. L’œuvre sera inachevée : Dorham s’éteint le 5 décembre 1972, des suites d’une grave maladie rénale.

 

 

Tag(s) : #Jazz, #Be bop, #Kenny Dorham, #Zoom
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